Principe
La loi du 29 juillet 1881 dans son article 42[1] et 43[2] définit un système de responsabilité pénale et civile en cascade qui désigne comme auteurs principaux les directeurs de publication ou éditeurs, puis, à défaut, les auteurs, les imprimeurs, les vendeurs, distributeurs et afficheurs. Cette déclinaison de responsables a été transposée au secteur de l'audiovisuel par la loi n°85-1317 du 13 décembre 1985, dans les articles 93-2 et 93-3 insérés dans la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
L'article 93-2 dispose que tout service de communication audiovisuelle doit disposer d'un directeur ou d'un co-directeur de la publication. L'article 93-3[3] précise que ce directeur ou co-directeur de la publication est responsable en premier lieu sur le plan éditorial. A défaut, les poursuites peuvent porter sur l'auteur puis, à défaut, sur le producteur.
Ces articles ont jusqu'à aujourd'hui été considérés, selon une jurisprudence confirmée, comme applicables aux sites télématiques puis à l'ensemble des services de communication en ligne, que l'on pouvait à juste titre assimiler, du fait de leur insertion dans la loi du 30 septembre 1986, à des services de communication audiovisuelle.
Les infractions de presse (propos racistes, diffamations, injures, contestations de crimes de guerres…) n’engagent pas la responsabilité civile de l’exploitant et de l’auteur sur la base des articles 1382 et 1383 du code civil mais selon des règles particulières (délai de prescription, compétence juridictionnelle)
Appliqué à la problématique des forums de discussion, l’exploitant doit donc être assimilé à un directeur de publication pour voir sa responsabilité engagée.
Néanmoins, en matière pénale, il est nécessaire qu’existe un élément intentionnel. Ce dernier se définit par la volonté de publier. Mais si la cour de cassation dans une décision du 5 novembre 2002 a considéré qu’un membre d’un forum avait bien eu la volonté de publier un message négationniste par le fait de d’envoyer ce dernier sur un forum, l’élément intentionnel est plus contestable concernant l’organisateur du forum.
C’est la raison pour laquelle l'article 93-3 de la loi 29 juillet 1982 dispose qu’une telle responsabilité n’est possible qu’en cas de « fixation préalable » du contenu en cause.
A défaut de fixation préalable, l’auteur est le premier responsable et à défaut le producteur. Si l’auteur n’est pas tenu pour premier responsable, sa responsabilité pénale sera retenue sur le fondement de la complicité.
Cette notion de fixation préalable peut s’entendre dans le cadre des forums à l’existence d’une modération à priori ou à posteriori.
Une modération à priori implique une fixation préalable et rendrait donc pleinement responsable le responsable du forum.
A contrario une modération à posteriori ou l’absence totale de modération n’implique pas de fixation préalable et ferait donc échapper à une telle responsabilité l’exploitant de forum.
Ce critère de la fixation préalable est-il retenu par les juges ?
La Cour de cassation dans un arrêt du 8 décembre 1998 s'est prononcée sur une affaire de diffamation constituée par des messages postés sur un forum de discussion hébergé sur le service minitel " 3615 Renouveau "
En l’espèce il n’y avait pas de modération donc pas de fixation préalable. La Cour de cassation a néanmoins retenu la responsabilité du créateur en tant que producteur car, ayant créé un service de communication audiovisuelle dans le but d'échanger des opinions religieuses et politiques, il pouvait prévoir les thèmes abordés et ne pouvait opposer un défaut de connaissance des contenus.
Il est à noter qu’à l’origine, ce régime se distingue par la brièveté de son délai de prescription de trois mois[4], ceci ayant pour objet en partie de garantir la liberté de presse.
Il est à noter que deux changements récents viennent temporiser ce principe.
En effet l’article 65-3[5] étend à un an le délai de prescription pour certaines infractions (provocation à la haine raciale, contestation de crime contre l’humanité)
Le changement majeur vient surtout de l’amendement déposé au Sénat en deuxième lecture de la loi pour la confiance dans l’économie numérique qui dispose que le délai de prescription court du jour de la cessation de la mise à disposition au public du contenu illicite.
La jurisprudence après certains arrêts contradictoires avait posé le principe que le délai de prescription courrait à partir du jour de la publication, c’est à dire du jour de mise en ligne.
Cette disposition de le LCEN appliquée aux forums pose un grave problème dans la mesure où la richesse d’un tel service est justement la masse de messages archivés et mis à disposition du public. Un message n’est jamais supprimé, sauf volonté de son auteur ce qui est rare. Ainsi la LCEN rend dans les faits les infractions de presse imprescriptibles dans le cadre d’un forum de discussion.
[1] Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir : 1° Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations, et, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article 6, de les codirecteurs de la publication ; 2° A leur défaut, les auteurs ; 3° A défaut des auteurs, les imprimeurs ; 4° A défaut des imprimeurs, les vendeurs, les distributeurs et afficheurs.
[2] Lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices.
[3] "Au cas où l'une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse est commise par un moyen de communication audiovisuelle, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l'article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message
incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public".
[4] Article 65 : L'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis
[5] Article 65-3 : Pour les délits prévus par le huitième alinéa de l'article 24, l'article 24 bis, le deuxième alinéa de l'article 32 et le troisième alinéa de l'article 33, le délai de prescription prévu par l'article 65 est porté à un an. ( discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée/ contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité/ La diffamation / 'injure commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée)
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